Intégrer les savoirs autochtones dans la gestion forestière
Près de la moitié du territoire québécois est couverte de forêts. Pour exploiter cette ressource de façon durable, il faut comprendre la dynamique des écosystèmes des siècles passés.
Hugo Asselin
Foresterie, chercheur en foresterie autochtone à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Hugo Asselin
La sociologie des bois
Les connaissances des Autochtones pourraient révolutionner la gestion forestière au Québec.
Par Jean-Pierre Rogel
À 37 ans, Hugo Asselin parle déjà comme un vieux sage: «Il faut comprendre la forêt dans la profondeur du temps», dit ce chercheur en foresterie autochtone à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
La foresterie autochtone, une spécialisation universitaire? «Mais j’espère bien! Les Autochtones connaissent la forêt et ils ont des savoirs précis à nous transmettre, pourvu qu’on les écoute. Nous aurions beaucoup à gagner à intégrer leurs connaissances dans les stratégies d’aménagement forestier durable.»
D’où l’idée qu’il a défendue d’intégrer la Chaire de recherche du Canada en foresterie autochtone – dont il est le titulaire – au département des sciences humaines. Une révolution! «Les intérêts des Amérindiens étant au cœur de notre démarche, nous agissons parfois comme des sociologues de terrain, résume Hugo Asselin. Nous les rencontrons, nous les interrogeons sur leurs perceptions, puis nous montons un projet de recherche appliqué qui tente de répondre à leurs questionnements et qui s’insère dans une démarche d’aménagement forestier durable.»
Certains des travaux de l’équipe relèvent même carrément de l’ethnologie ou de la sociologie. Une étudiante au doctorat examine le rôle des femmes autochtones dans la gouvernance du territoire; une autre évalue l’acceptabilité sociale d’une stratégie d’aménagement écosystémique par la communauté algonquine de Pikogan, une réserve située près d’Amos.
Et même dans le cas des recherches plus proches des thèmes habituellement abordés en écologie forestière, l’intérêt autochtone n’est jamais bien loin. Ainsi, si on étudie la dynamique du pin blanc près de sa limite nordique d’établissement, c’est parce que les Algonquins sont préoccupés par la diminution de cette essence sur leur territoire ancestral. «Mais c’est aussi, souligne Hugo Asselin, parce qu’ils obtiennent peu d’écoute de la part de l’industrie forestière, très frileuse à l’idée d’aménager des peuplements de pins blancs, notamment en raison des attaques par la rouille vésiculeuse ou par le charançon.»
Bien sûr, pour comprendre les écosystèmes forestiers, l’ingénieur utilise aussi des méthodes plus «habituelles», notamment la paléoécologie qui, à partir de fossiles, étudie les relations passées entre les êtres vivants et leur environnement. «Nous sommes très en retard dans notre compréhension des écosystèmes forestiers, souligne-t-il.
Alors que la Commission Coulombe sur la gestion publique de la forêt québécoise remonte déjà à huit ans et qu’on s’apprête à mettre en application le nouveau régime forestier, il devient urgent de saisir la dynamique naturelle de ces écosystèmes au cours des derniers siècles, ne serait-ce que pour mesurer les effets du réchauffement climatique.»
Corédacteur en chef de la revue Écosociété, partie prenante de débats sur le développement régional, Hugo Asselin croit fermement en la responsabilité sociale des scientifiques. «La forêt est un milieu de vie ouvert, répète-t-il, un milieu riche des expériences culturelles et naturelles du passé.»
Des expériences que, à l’instar de ses amis amérindiens, le jeune chercheur tient à transmettre au plus grand nombre.