Revoir les méthodes de calcul des émissions de gaz à effet de serre
La mondialisation engendre un déplacement de la production industrielle et de la pollution vers les pays émergents.
Jie He
Professeure au département d’économie de l’Université de Sherbrooke
Jie He
Pour un bilan carbone équitable
C’est dans les pays en développement que l’on émet le plus de gaz à effet de serre. Mais c’est pour produire nos biens de consommation.
Par Gilles Drouin
Pour responsabiliser les États en matière de pollution, il faut savoir compter. «La méthode de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre utilisée dans le protocole de Kyoto n’est pas équitable, car elle cible uniquement les pays producteurs, croit Jie He. Il faudrait plutôt considérer la situation dans son ensemble, en incluant la responsabilité des pays consommateurs.» Professeure au département d’économie de l’Université de Sherbrooke, elle croit qu’il faut complètement revoir nos calculs.
Actuellement, quand elles choisissent un site de production, les entreprises tiennent compte de différents facteurs, comme les coûts de la main-d’œuvre et du transport. Le coût environnemental, représenté par les émissions de GES, n’entre pas dans l’équation. Ainsi la Chine, par exemple, qui pollue beaucoup mais qui peut compter sur une main-d’œuvre bon marché, dispose d’un avantage concurrentiel important.
Résultat, nombre de pays développés font produire leurs biens en Chine ou dans d’autres nations aux économies émergeantes. «En délocalisant ainsi leur production, remarque Jie He, des États comme l’Allemagne et la France gardent leurs émissions de GES à un niveau acceptable, tout en obtenant des biens moins chers, afin de satisfaire leurs consommateurs.»
Sur cette carte du monde, on voit clairement quels sont les pays les plus pollueurs, en milliers de tonnes métriques. cdiac/2006
Sur cette carte du monde, on voit clairement quels sont les pays
les plus pollueurs, en milliers de tonnes métriques. © cdiac/2006À l’échelle de la planète, ça ne change rien du tout. «On ne fait que déplacer le problème. En fait, on l’aggrave même, puisque les pays comme la Chine ne sont pas très efficaces, d’un point de vue énergétique, dans leurs moyens de production.» En effet, environ 70% de l’énergie du secteur manufacturier chinois provient du charbon. Selon les estimations de la professeure, plus de 30% des émissions de GES de la Chine sont liées à des biens destinés à l’exportation, donc à la consommation des pays industrialisés.
Pour tenter de rétablir les choses, l’économiste d’origine chinoise s’est attaquée à un calcul complexe. Un peu comme on le fait maintenant avec les analyses de cycles de vie, elle dresse des équations qui incluent les coûts environnementaux liés à chaque étape de la fabrication d’un produit, de sa conception à sa destruction (ou, idéalement, à son recyclage). Cette comptabilité inclut donc aussi bien l’extraction des matières premières que le processus de fabrication, l’emballage et le transport. Elle tient aussi compte de l’efficacité énergétique des technologies employées à chacune des diverses étapes.
L’objectif de Jie He? Estimer le plus précisément possible les émissions de GES pour chaque produit, en fonction de son lieu de fabrication. «À partir de cette donnée, explique-t-elle, il serait alors possible de déterminer le pays qui émet le moins de GES lors de la production d’un bien.»
Elle va plus loin. Elle suggère une taxe carbone à la consommation dont les revenus serviraient à soutenir les efforts d’amélioration de l’efficacité énergétique un peu partout dans le monde. À court terme, les consommateurs paieraient plus cher mais, à moyen terme, les usines du monde – y compris celles de la Chine – amélioreraient leurs technologies et la planète ne s’en porterait que mieux.