La technologie pour une agriculture moins polluante
Près de 65 % des cours d'eau en milieu agricole sont pollués par le phosphore, un élément qui entre dans la composition des engrais chimiques.
Rafaël Proulx
Biologie, titulaire de la nouvelle Chaire de recherche en biologie systémique de la conservation de l’Université du Québec à Trois-Rivières
Viacheslav I. Adamchuk
Agriculture, professeur au Collège Macdonald de l’Université McGill
Dans un champ de la région de Berthierville, Rafaël Proulx et Julie Ruiz
Dans un champ de la région de Berthierville, le chercheur Rafaël Proulx (ici en compagnie de Julie Ruiz) a planté des micros pour écouter le chant des sauterelles, des grillons et des oiseaux. Le but? Mieux connaître la diversité faunique des bandes riveraines.
© Olivier Croteau
Ah! que la campagne est belle!
Pour sauver nos campagnes, il faut réparer les dégâts causés par l’agriculture industrielle et y attirer les fermiers. Les chercheurs déploient de nouveaux trucs afin d’y parvenir.
Par Nicolas Mesly
Rafaël Proulx dirige un étonnant réseau d’espionnage. Ses agents sont installés au bout des champs, sur des talus surplombant ruisseaux et marais.
À l’aide d’une dizaine de caméras plantées chez des agriculteurs de la région de Berthierville et des îles de Sorel, du printemps à l’automne, trois fois par jour, il photographie le paysage. Le but de l’opération: regarder pousser les plantes. Sur ces talus, il a aussi installé des micros grâce auxquels il écoute le chant des sauterelles, des grillons et des oiseaux. «Notre objectif est de déterminer combien d’espèces végétales il faut pour constituer une bande riveraine optimale», explique le chercheur, titulaire de la nouvelle Chaire de recherche en biologie systémique de la conservation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
C’est que les bandes riveraines agissent comme de véritables filtres contre la pollution agricole. Sans elles, le surplus de fumier, d’engrais et de pesticides se retrouve en dose excessive dans les cours d’eau, puis dans le fleuve Saint-Laurent.
Ce spécialiste en écologie végétale a déjà sa petite idée sur la bande riveraine idéale: «Elle doit être touffue et diversifiée. Jusqu’à 15 espèces végétales peuvent y cohabiter: alpiste roseau, verge d’or, cornouiller, peuplier, etc. L’important est de choisir un mélange de plantes qui s’épanouissent dès le début du printemps (c’est à ce moment qu’ont lieu une bonne partie des épandages de lisier) et d’autres qui poussent jusqu’à l’automne.» En plus d’agir comme filtre dépolluant, les racines, qui s’enfoncent à différentes profondeurs dans le sol, stabilisent les berges et stoppent l’érosion.
Malheureusement, la réglementation exigeant des bandes d’au moins 3 m de largeur en bordure des cours d’eau n’est que rarement respectée. «Les producteurs agricoles ne sont pas différents des citadins. Ils coupent la végétation dans un souci d’esthétisme. Comme les habitants des villes tondent leur gazon», explique Rafaël Proulx. Les agriculteurs craignent aussi de briser leur machinerie avec les branches ou les arbres qui poussent dans cette bande de végétation broussailleuse.
Pourtant, le chercheur en est convaincu, les bandes riveraines représentent une police d’assurance contre les maladies des cultures. «La végétation peut abriter des insectes, des batraciens et des oiseaux très utiles pour lutter contre les parasites. Elles permet de réduire l’utilisation de pesticides, sans diminuer les rendements», affirme-t-il.
Mais comment faire pour encourager les agriculteurs à protéger les rivières qui bordent leurs champs? Devrait-on les payer pour ce «service environnemental» de purification de l’eau?
La solution, selon Julie Ruiz, professeure, géographe et sociologue à l’UQTR, consiste plutôt à embellir le paysage. C’est ainsi que l’on attirera des gens qui voudront prendre soin de leur petit coin de pays. Si les citadins se bousculent pour acheter des propriétés en Estrie, dans les Laurentides ou dans Charlevoix, c’est pour la splendeur de la campagne, sculptée par des générations d’agriculteurs.
Or, ces campagnes qui sont à la fois résidentielles, mais aussi jalonnées de fermes d’élevage, favorisent la biodiversité, la protection de l’eau et la qualité de vie. Malheureusement, les petites fermes disparaissent peu à peu au profit des grosses. Le Québec ne compte plus aujourd’hui que 30 000 fermes alors qu’on en dénombrait 100 000 en 1961. «Le Midwest états-unien est aujourd’hui un grand désert vert de maïs et de soya où les villages sont tous morts. Est-ce que le Québec connaîtra le même sort?» s’inquiète-t-elle.
La professeure planche en ce moment sur un projet d’aménagement dans la municipalité régionale de comté des Mascoutains. Traversée par la rivière Yamaska, une des plus polluées de la province, la région compte 17 municipalités, dont certaines se vident de leurs habitants et où les champs sont aujourd’hui exploités en partie par des compagnies à numéro.
«Nous aimerions y créer une mosaïque d’entreprises agricoles petites et grosses, biologiques et conventionnelles, tout en aménageant les berges et l’accès à la rivière», dit-elle. Le but: constituer un milieu de vie agréable dans cette zone située à une heure et demie de Montréal.
Grâce aux travaux de nos chercheurs, peut-être verra-t-on émerger une belle campagne écologique dans la plaine fertile du Saint-Laurent d’ici 2050…