Narguant les impitoyables conditions climatiques du
Sahara, l’arganier ombrage généreusement une zone du nord-ouest de la
wilaya de Tindouf où c’est uniquement là qu’il a choisi de pousser.
Source de vie pour les ruminants de cette région aride, cet arbre au
feuillage persistant recèle également -son fruit - une huile aux
multiples vertus nutritives, médicinales et esthétiques. L’arganier
existe aussi en territoire algérien. (1) Après une vingtaine de minutes direction nord sur la RN 50, on
bifurque à gauche pour nous engager sur la piste ou plutôt sur l’étendue
pierreuse de la hamada, où s’orienter n’est pas à la portée du profane.
«On quitte la civilisation», ironise le conducteur. Bien sûr, là, on
n’en est pas trop éloigné : l’asphalte est encore tout proche, la ville
de Tindouf seulement à quelques kilomètres au sud et, par endroits, les
traces rassurantes des 4x4 sillonnant cette zone vers Bir El Ouatak. Le
vide à perte de vue parsemé, de temps à autre, d’acacias (el talh dans
le parler local). On poursuit nord-ouest pour traverser le large lit de
oued El Ma. Un des plus importants de la région – on en a déjà traversé
quatre autres - qui, en crue, peut bloquer la circulation en enjambant
la RN 50 pour aller se jeter dans la sebkha à l’est de la ville.
«A ce niveau, on est à 150 km de Ras el oued et à une altitude de 380 m
qui va aller en s’élevant jusqu’à 500 m», explique le conservateur des
forêts, Sadet Abdelkader, avec lequel on a pris le chemin vers
l’arganier. Un tout nouveau paysage s’offre au regard. La couleur du sol
change, la concentration du «talh», qu’avoisinent d’autres végétaux,
est plus importante. Bien que l’oued soit à sec, on sent, montant du sol
meuble de son lit, cette fraîcheur qui dénote la présence de l’eau.
Bir El Ouatak, une eau pour du thé «à la tindoufienne»Presque une heure après notre départ, Bir El Ouatak. La surprise est
grande. Après le vide dans lequel on naviguait comme en pleine mer, on a
l’impression que c’est jour de marché. Des dizaines de véhicules (Land
Rover et poids lourds) équipés de citernes stationnent à l’ombre des
bosquets d’acacias. «Ils attendent leur tour. Cela peut prendre 2 ou 3
jours et parfois plus», dit notre guide. Leurs occupants, rodés à cette
longue attente, sont installés comme au camping. Ce puits, dont l’eau
déminéralisée est fortement prisée pour la préparation du thé «à la
tindoufienne», est leur source de revenu. L’eau est puisée archaïquement
à l’aide d’une poulie et d’une grande bâche faisant office de seau,
sauf que pour la tracter, on recourt à la force motrice d’une Land
Rover. «On puise pendant une heure et demie environ et on s’arrête parce
qu’il n’y a plus d’eau et on attend environ trois heures pour que le
puits se remplisse à nouveau», explique-t-on.
La maison forestière de Touiref BouaâmLe temps de faire une petite causette et de prendre quelques photos et
on reprend la piste ascendante vers l’arganier dont on commence à
repérer quelques spécimens au vert de leur feuillage plus vif qui
tranche avec celui du «talh» encore plus abondant. Encore une heure et
demie à voguer en plein hamada, puis, au détour d’une élévation, on
aperçoit au loin la maison forestière. Opérationnelle depuis janvier
2008, avec des équipes tournantes, à intervalle d’une semaine, pour
veiller à la protection de l’arganier. Cet arbre qu’on ne trouve nulle
part ailleurs, sauf au Maroc, de l’autre côté de djebel Ouarkziz tout
proche.
L’arganier a longtemps fait l’objet de coupes illicites pour la
fabrication de charbon, et l’espèce aurait pu disparaître totalement si
les services de la Conservation des forêts ne l’avaient pas découverte
en 2005 et déclenché une lutte sans merci contre les charbonniers.
L’équipe de permanence, trois en tout, deux techniciens et un agent,
nous réserve un accueil des plus chaleureux. Isolés à environ 120 km de
la ville, en plein désert, durant une semaine, pour eux toute visite est
un rayon de soleil ou plutôt une douce averse par grande canicule. Pas
pluvieuse du tout cette saison. On dirait que l’été passé a décidé de
s’installer sur Tindouf pour rencontrer le nouvel été tout proche.
Des moyens insignifiants pour protéger l’arganierA notre grand étonnement, un seul véhicule à proximité. Le conservateur
des forêts nous explique que deux équipes se relayent dans la maison
forestière et qu’un véhicule est affecté à chacune d’elles. Ces trois
«sentinelles» sont donc là, dans ce coin perdu, à la merci du hasard.
Bravo à toutes les équipes !
Et le nombre d’agents au niveau de la Conservation ? «Avec les 7
nouveaux recrutés de cette année, 30 techniciens», répond le
conservateur. Pour une wilaya d’une superficie de plus 158 000 km2, cela
se passe de commentaires !
On apprend qu’en tout et pour tout, un budget de 56 millions de dinars a
été consacré à la protection de l’arganier, dont 30 pour la
construction de la maison forestière avec 2 logements, un hangar et le
forage d’un puits. En 2008, une enveloppe de 10 millions de dinars a été
dégagée pour la réalisation d’une petite pépinière sur site, un système
d’irrigation au goutte-à-goutte et l’aménagement de trois points d’eau
pour la faune vivant dans ce secteur. Une autre enveloppe de 16 millions
de dinars est prévue pour l’alimentation de la maison forestière en
énergie solaire. Pour le moment, la structure dispose d’un groupe
électrogène «mais son alimentation en gasoil pose beaucoup de
contraintes».
Les équipes forestières dont la mission première est la protection du
patrimoine existant, procèdent actuellement au repeuplement par de
nouvelles plantations d’arganiers. Il a fallu attendre la mise en place
du goutte-à-goutte pour reprendre la plantation. «Les premières
plantations ont échoué à cause de l’irrigation, l’arganier a besoin de
beaucoup d’eau quand il est jeune et c’est pour ça qu’on a recouru à ce
système.» Cependant, le débit de l’eau est faible et cela nécessite un
nouveau forage.
Une dizaine de familles nomades vivent dans les alentours. «Elles ont
été sensibilisées à la préservation de l’arganier, il n’y a plus de
coupe et les zones plantées sont interdites au pâturage», explique le
conservateur.
Un riche patrimoine floristique méconnuOn estime à environ 3000 ha la zone couverte d’arganiers au niveau des
oueds. Oued El Ma et ses trois importants affluents dans ce secteur dont
Oued Terganète, du nom de l’arganier (ergane), qui s’y déverse à son
point de départ (ras el oued), à 70 km environ au nord de la maison
forestière, au pied de djebel Ouarkziz. Ici, au lieu-dit Touiref Bouaâm,
vient se jeter Oued Bouyadine et un peu plus au sud, c’est au tour de
Oued El Gahouène, du nom d’un autre arbre. Près de l’arganier plus
abondant, on découvre également une nouvelle variété d’acacia, le «talh»
blanc (afrère), au feuillage plus clair, et un arbre connu sous
l’appellation de «jdari». Tout un peuplement hétérogène qui reste à
découvrir.
Jusqu’à présent 1000 arganiers ont été répertoriés sur une dizaine de
kilomètres seulement. Le grand arganier sous l’ombre duquel nos hôtes
nous proposent la pause déjeuner et le traditionnel thé, porte le numéro
un. «Ils ont été répertoriés par des étudiants de l’INRF qui préparent
un mémoire sur l’arganier mais il reste tout un inventaire floristique à
établir», dit le conservateur. A Touiref Bouaâm, après les chutes de
pluie, pousse une grande variété d’espèces végétales, «et même certaines
qu’on ne trouve qu’au nord du pays».
Une réserve naturelle…c’est pour quand ?La préservation de l’arganier et la régénération de l’espèce dans cette
seule région du pays qui lui est propice ne peuvent malheureusement pas
être assurées par une Conservation des forêts, même si celle de Tindouf
s’est déjà beaucoup investie. Subsistance (feuilles et fruits) pour les
ruminants, son fruit donne une huile très riche dont l’exploitation
offrirait des opportunités socioéconomiques non négligeables pour la
wilaya. Les nomades utilisent cette huile, extraite traditionnellement,
contre la grippe. «On frotte juste les narines avec cette huile et fini
la grippe», dit-on. De leur côté, les femmes l’utilisent pour la
protection des cheveux. Les spécialistes parlent de bien d’autres
applications. Seule la création d’une réserve naturelle dotée de moyens
adéquats est à même de faire fructifier, en le protégeant, ce don de la
nature qui transforme des hamadas desséchées en étendues boisées qui
n’ont rien à envier aux oasis. Pour les connaisseurs, cette réserve est
une nécessité des plus absolues !
Pas facile de s’arracher à l’arganier trônant majestueusement dans ces
espaces au point de vous faire oublier que vous êtes en plein désert. On
veut y rester…et puis on brûle d’envie d’y retourner.
(1) le Petit Larousse définit l’arganier comme un arbre épineux du sud marocain M. Milagh(SOURCE)